les aventures du tableau blanc
ou le doux retour d'un homme au masculin...
Bonjour,
Teresa Janovitch est une vieille femme. Une vraie, comme on les imagine, voûtée, le visage recouvert de beaucoup trop de peau, un peu de barbe parsemée, Teresa a le corps qui va pas. Elle est assise, là, regardez, regardez sur la photo, elle est assise sur une vieille chaise en bois. Elle ne regarde même pas le feu de cheminée, elle regarde ses pieds, elle ne regarde rien, elle a juste la tête qui tombe. Teresa ne pense pas, elle ne pense à rien. On sent bien sur la photo qu’elle est profondément fatiguée. Une petite couverture à carreaux posée sur ses genoux, ses pieds ne touchant pas par terre. Le carrelage de terre cuite est un peu cassé partout. Le feu brûle toujours, elle ne le regarde pas. Elle va rester longtemps assise comme ça tu crois ? Je ne sais pas. Tiens une musique arrive par la fenêtre, ça fait un peu fanfare, on a l’impression qu’un petit orchestre arrive par le chemin. La musique se rapproche, doucement, et puis non, plus rien.
C’est la bouilloire qui a sifflé, tu vois, tu crois entendre des orchestres toi, ça ne va pas bien, hein ? Ha oui c’est la bouilloire, il faut que Teresa éteigne sous la bouilloire. C’est bien, elle va être obligé de se lever, ou de bouger, on va en savoir plus. Ha non c’est un vieil homme qui arrive par la gauche de la photo, ho il a pas l’air si mal en point, lui. Il a encore des petits cheveux plats sur la tête, et il a une belle barbe. Oui c’est bien les vieux avec des barbes, ça fait bûcheron, ou père noël. Il éteint sous la bouilloire, c’est bien, il a encore toute sa tête. La théière bleue en fer va être bien pour le thé, elle est très jolie, très vieille aussi. Tout est vieux sur cette photo, je comprend pas, il n’y a rien de neuf ou de jeune. Oui tu vois.
Hé mais elle dormait seulement, la vieille, regarde elle relève la tête, elle la tourne un peu, vers le vieux. Il la regarde aussi, ils se sourient. Ils se souviennent comment ils se regardaient quand ils étaient jeunes, comment ils étaient beaux, comment ils s’aimaient, comment ils avaient de l’avenir. Ils regardent leur passé, c’est forcé. Ils ont encore des beaux sourires quand même, ils s’aiment toujours je pense. Il lui fait du thé en fait, il met du thé des amoureux, et verse de l’eau de la bouilloire, il a choisi la bleue, comme prévu. Ils sont mignons quand même, ces deux vieux. Il a l’air plein d’attention, on sait toujours pas si elle marche, elle. Pourquoi elle marcherait pas ? Parce qu’elle est vieille ! Mouais.
Ha oui elle peut pas marcher, il tourne sa chaise un peu, il amène près d’elle une petite table et une autre chaise, elle le regarde avec un sourire tout ridé, mais des yeux magnifiques. Ils se versent du thé maintenant, c’est elle qui verse dans les deux petits bols, tiens c’est des bols en quoi. Ho il descend son visage vers le sien, il l’embrasse, ils s’embrassent. Ces deux vieilles bouches qui se touchent, c’est tout doux, ça se voit. Pourquoi on les voit jamais s’embrasser les vieux, c’est beau, dis donc ils sont toujours amoureux, hein ? Pourquoi ils seraient plus amoureux ? Parce qu’ils sont vieux ! Tu parles.
Ils boivent un peu de thé, enfin elle boit un peu d’abord et il la regarde, pour voir si il a bien dosé, si c’était le bon thé, si c’est pas trop chaud, mais, elle aime toujours bien quand c’est très chaud. Elle devine dans ses yeux toutes ses interrogations, le rassure d’un regard souriant, il se sait démasqué et adore cette complicité, il boit aussi, il aime mieux moins chaud, mais il veut boire avec elle. Ses vieilles mains qui entourent des deux cotés le petit bol de thé. Qu’est ce qu’ils ont l’air bien.
La lumière est toute jaune, c’est joli, et assez rasante, la cheminée est toute éclairée, on voit bien les pierres. Eux leurs visages sont dans l’ombre maintenant, ils ont fini leur thé, on ne sait plus si ils se regardent, on aimerait bien. Ils ne bougent plus tellement. Ils doivent se demander si il leur restait quelque chose à faire avant de mourrir.
En ce moment...
Cette nuit vers quatre heures du matin, tout endormi, au chaud, cuvant un peu, sûrement souriant, en plein rêve.
Ce qui suit n'est pas de moi mais de l'éditorialiste des éditions Terre-Noire :
Un peu de vacances n'ayant, à l'instar du vin rouge, jamais fait de mal à personne, je confesse m'y être adonné doucement, flanant au fil des jours entre envie de monter un orchestre pour aller faire une tournée en minibus autour de la Baltique, feu de cheminée avec chataignes ou sans, rillettes honteusement proches du surnaturel, concert de Katerine, soleils vents et terrasses du port de commerce de Brest, jeux d'oiseaux au bord de l'Océan, un peu de travail entre les mailles du filet, festival sans saveur à Saint Malo, et poulet au curry.