ou le doux retour d'un homme au masculin...

mardi 16 janvier 2007

les aventures de la corde sensible

Hier soir je suis sorti marcher dans les rues, entouré de cette espèce de douceur moite de faux hiver. Il était presque vingt heures, l'heure la messe des télé-addicts qui veulent absolument en savoir plus sur Nico ou sur Ségo mais surtout pas de l'info, et mine de rien, dans un esprit assez dix-neuvième, j'allais cahin-caha à l'opéra. Du coup je me tenais bien droit, et tous les gens qui ce soir là n'allaient pas à l'opéra fuyaient le centre ville. Les autres, ceux qui y allaient, inondaient les parkings de leurs grosses berlines lustrées, fiers, solitaires, leur bourgeoise est leur partenaire.

Ca a l'air d'être l'occasion pour une vieille élite, ancètre et recluse, de sortir des ombres pour rejoindre un lieu de culte désuet. Le monde moderne ne les comprend pas, ils le lui rendent bien, ils laissent aller les petits vélos d'antan rouler dans leurs têtes en attendant le retour de la monarchie.
Dans cette société de fantômes, à laquelle seuls quelques inconscients viennent naïvement se frotter lors d'une soirée musicale, la mine triste est de rigueur, les mentons dégoulinent sur les écharpes en soie, ce sont les bijous qui tiennent la peau des ancètres. La fierté les fait souvent s'attaquer à la monté des escaliers rouges avant le début du concert, lentement, très lentement. Heureusement qu'il y a un ascenseur handicapés à l'arrière, pour les valides, car on ne peut pas les doubler dans les escaliers, ils se tiennent les uns aux autres, et aux rambardes à la fois. Ils font barrage.

C'est donc au beau milieu d'un nuage de poussière qu'apparait la salle de l'opéra, dont les dorures et les velours paraissent avoir subi des siècles d'abandon. L'antique bourgeoisie emmène sa radioactivié avec elle, agrippe d'une main fébrile et maladroite ses châles et manteaux, sur les genoux, et s'asseoit. Je ne serais pas surpris d'en voir perdre quelques doigts ou quelques dents pendant la soirée. L'odeur ambiante doit être assez proche de ce que fût Versailles.
Ce soir c'est récital de piano. Ma mère est pianiste. J'ai toujours depuis nourri une affection particulière pour le son de cet instrument, elle en jouait quand j'étais dans son ventre. Vu l'ambiance imposée par mes congénères dégénérescents, je compte un peu sur un trip "liquide amniotique" pour me sauver le moral.

Michel, c'est le pianiste, vient faire montre de ses talents, il est tout seul, face au piano, face au taureau, immense, noir luisant de sueur, d'or à l'intérieur, il marque dès le début par sa majesté (le piano). Michel, accompagnant sa musique de contorsions du visages qui auraient eu raison du sourire de la plupart des dââmes du public, frappe son adversaire du poing (Shoubeeert, quand même), caresse le clavier pour les douces notes, profitant des points d'orgue pour attrapper un mouchoir et s'essuyer le front. Michel est un combattant, il se donne, il brille.
Malheureusement, si la vigueur de son jeu reveille un peu l'audience, qui applaudit généreusement, Michel ne m'emporte pas. Loin de ressentir cette émotion foetale et innocente, je pense à autre chose, tout en reconnaissant le talent du grand pianiste. Entre chaque mouvement, quelques spectateurs menacent de rendre l'âme dans des toux cadavériques, dont on sent qu'elles nettoient jusqu'au tréfond du système respiratoire du mourrant.

Le concert fini, et bien joli, je retrouve l'odeur de la pluie. Toute une catégorie poussièreuse de la population de cette ville retourne hanter ses plus grands appartements, pleins de boiseries, de dentelles et de porcelaine, il ne manque à ces gens qu'un certain gout du sang pour être romantiques.

Je reste sur ma faim. D'abord parceque je n'ai rien mangé, mais aussi parceque décidement l'émotion n'est jamais par avance acquise, qu'il ne suffit pas d'être un génie pour le monde pour être unique pour un être.
Il a eu beau jouer du Shubert, Michel, c'est pas ma mère.

1 remarques & commentaires:

Anonymous Anonyme nous gratifie de sa bonne parole...

C'est Daumier + Balzac + Desproges : Bravo. Tu vas faire plaisir à ta mère (et à ton père...)

6:59 PM

 

Enregistrer un commentaire

<< Home